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21.12.1999
Communiqué du Greffier
ARRÊT DANS LAFFAIRE SALGUEIRO DA SILVA MOUTA c. PORTUGAL
Par un arrêt[fn] rendu à Strasbourg le 21 décembre 1999 dans laffaire Salgueiro da Silva Mouta c. Portugal, la Cour européenne des Droits de lHomme dit, à lunanimité, quil y a eu violation de larticle 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) combiné avec larticle 14 (interdiction de discrimination) de la Convention européenne des Droits de lHomme, et quil ne simpose pas de statuer sur les griefs tirés de larticle 8 pris isolément. En application de larticle 41 (satisfaction équitable) de la Convention, la Cour dit que son arrêt constitue en soi une satisfaction équitable suffisante quant au dommage allégué par le requérant, et elle alloue à celui-ci 1 800 000 escudos portugais pour honoraires et 350 000 escudos portugais pour frais.
1. Principaux faits
Le requérant, João Manuel Salgueiro da Silva Mouta, ressortissant portugais, est né en 1961 et réside à Queluz (Portugal).
Le requérant se vit interdire par son ex-femme de rendre visite à sa fille M., au mépris dun accord conclu lors de leur divorce. Il demanda à se voir confier la garde de lenfant, ce qui lui fut accordé en 1994 par le tribunal aux affaires familiales de Lisbonne. M. vécut avec son père jusquà ce quen 1995, elle soit, daprès le requérant, enlevée par sa mère. En appel, la mère recouvra la garde tandis que le requérant obtint le droit de visite que, selon lui, il ne put exercer. Dans son arrêt, la cour dappel de Lisbonne confia la garde de M. à sa mère se fondant sur deux motifs : lintérêt de lenfant et le fait que le requérant est homosexuel et vit avec un autre homme.
2. Procédure et composition de la Cour
La requête a été introduite devant la Commission européenne des Droits de lHomme le 12 février 1996.
Examinée par la Cour depuis le 1er novembre 1998 en vertu des dispositions du Protocole n° 11 à la Convention, la requête a été déclarée recevable le 1er décembre 1998. Une audience a eu lieu le 28 septembre 1999 à huis clos.
Larrêt a été rendu par une chambre composée de sept juges, à savoir :
Matti Pellonpää (Finlandais), président,
Georg Ress (Allemand),
Antonio Pastor Ridruejo (Espagnol),
Lucius Caflisch (Suisse),
Jerzy Makarczyk (Polonais),
Ireneu Cabral Barreto (Portugais),
Nina Vajic (Croate), juges,
ainsi que Vincent Berger, greffier de section.
3. Résumé de larrêt
Griefs
Le requérant se plaint davoir été victime à la fois dune ingérence injustifiée dans son droit au respect de sa vie privée et familiale, garanti par larticle 8 de la Convention européenne des Droits de lHomme, et dune discrimination contraire à larticle 14 de la Convention. Il dénonce également, sur le terrain de larticle 8, le fait davoir été contraint par la cour dappel à cacher son homosexualité lors de ses rencontres avec sa fille.
Décision de la Cour
Article 8 combiné avec larticle 14 de la Convention
La Cour note demblée quil ressort de la jurisprudence des organes de la Convention que larticle 8 sapplique aux décisions dattribution de la garde dun enfant à un des parents après divorce ou séparation. Larrêt de la cour dappel de Lisbonne en question, dans la mesure où il a annulé le jugement du tribunal aux affaires familiales de Lisbonne qui avait octroyé lautorité parentale au requérant, sanalyse en une ingérence dans le droit de lintéressé au respect de sa vie familiale.
La Cour observe ensuite que pour annuler la décision du tribunal aux affaires familiales de Lisbonne et, par conséquent, conférer lautorité parentale à la mère au détriment du père, la cour dappel a examiné certes lintérêt de lenfant mais a introduit un élément nouveau, à savoir le fait que le requérant était homosexuel et quil vivait avec un autre homme. Il y a donc eu une différence de traitement entre le requérant et la mère de M., qui reposait sur lorientation sexuelle du requérant, notion qui est couverte par larticle 14 de la Convention. Une telle différence de traitement est discriminatoire au sens de cette disposition si elle manque de justification objective et raisonnable, cest-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime, et sil ny a pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
La décision de la cour dappel poursuivait un but légitime, à savoir la protection de la santé et des droits de lenfant. Pour savoir si la décision qui a finalement été prise a manqué de base raisonnable, la Cour recherche si lélément nouveau introduit par la cour dappel de Lisbonne, soit lhomosexualité du requérant, était un simple obiter dictum, dépourvu dune incidence directe sur la solution de la question litigieuse, ou si, au contraire, il a revêtu un caractère décisif. A cette fin, la Cour examine larrêt de la cour dappel de Lisbonne et relève que cette dernière, après avoir considéré quil ny avait pas de raisons suffisantes permettant de retirer à la mère lautorité parentale qui lui avait été confiée par laccord entre les parents, a ajouté que : « ( ) même si ce nétait pas le cas, nous pensons que lenfant doit être confiée à sa mère ». La cour dappel prit alors en considération le fait que le requérant était homosexuel et vivait avec un autre homme pour observer que « lenfant doit vivre au sein ( ) dune famille traditionnelle portugaise » et qu « il ny a pas ici lieu de chercher à savoir si lhomosexualité est ou non une maladie ou si elle est une orientation sexuelle à légard des personnes du même sexe. Dans les deux cas, lon est en présence dune anormalité et un enfant ne doit pas grandir à lombre de situations anormales ».
Pour la Cour, ces passages de larrêt de la cour dappel de Lisbonne ne sont pas de simples formules maladroites ou malheureuses, ou de simples obiter dicta, mais donnent à penser que lhomosexualité du requérant a pesé de manière déterminante dans la décision finale, ce qui constitue une distinction dictée par des considérations tenant à lorientation sexuelle du requérant quon ne saurait tolérer daprès la Convention. Cette conclusion est renforcée par le fait que la cour dappel, lorsquelle a statué sur le droit de visite du requérant, a dissuadé ce dernier davoir un comportement permettant à lenfant, lors des périodes de visite, de comprendre que son père vit avec un autre homme « dans des conditions similaires à celles des conjoints ».
La Cour conclut donc à la violation de larticle 8 combiné avec larticle 14.
Article 8 de la Convention considéré isolément
La Cour estime inutile de statuer sur la violation alléguée de larticle 8 pris isolément car les arguments avancés sur ce point coïncident, en substance, avec ceux examinés dans le contexte de larticle 8 combiné avec larticle 14.
Article 41 de la Convention
Le requérant a demandé une « réparation juste » sans toutefois chiffrer sa demande. Dans ces conditions, la Cour estime que le constat de manquement figurant dans larrêt constitue, en soi, une satisfaction équitable quant au dommage allégué.
Elle alloue en revanche au requérant une somme totale de 2 150 000 escudos portugais pour frais et honoraires.
Les arrêts de la Cour sont disponibles sur son site Internet (http://www.dhcour.coe.fr).
Greffe de la Cour européenne des Droits de lHomme
F 67075 Strasbourg Cedex
Contacts : Roderick Liddell (téléphone : (0)3 88 41 24 92)
Emma Hellyer (téléphone : (0)3 90 21 42 15)
Télécopieur : (0)3 88 41 27 91
La Cour européenne des Droits de lHomme a été créée en 1959 à Strasbourg pour connaître des allégations de violation de la Convention européenne des Droits de lHomme de 1950. Le 1er novembre 1998 elle est devenue permanente, mettant fin au système initial où deux organes fonctionnant à temps partiel, la Commission et la Cour européennes des Droits de lHomme, examinaient successivement les affaires.
[fn] Cet arrêt nest pas définitif. Larticle 43 de la Convention européenne des Droits de lHomme prévoit en effet que, dans un délai de trois mois à compter de la date de larrêt dune chambre, toute partie à laffaire peut, dans des cas exceptionnels, demander le renvoi de laffaire devant la Grande Chambre (17 membres) de la Cour. En pareille hypothèse, un collège de cinq juges examine si laffaire soulève une question grave relative à linterprétation ou à lapplication de la Convention ou de ses Protocoles ou encore une question grave de caractère général. Si tel est le cas, la Grande Chambre statue par un arrêt définitif. Si tel nest pas le cas, le collège rejette la demande et larrêt devient définitif. Autrement, les arrêts de chambre deviennent définitifs à lexpiration dudit délai de trois mois ou si les parties déclarent quelles ne demanderont pas le renvoi de laffaire devant la Grande Chambre.